Lorsque l’on parle santé au travail on pense souvent burnout, accident de travail, arrêt de maladie, dépression, cadences infernales, harcèlement moral, inaptitude. Mais pourquoi ces mots nous viennent-ils immédiatement à l’esprit ?
Pourquoi ne pas y voir plutôt les mots : bien-être, épanouissement professionnel, qualité de vie au travail, relaxation ?
Je suis Paul, représentant du personnel au CHSCT, mais aussi blogueur et je vais vous donner à travers cet article ma vision de la santé au travail.
Cela fait maintenant plus de trois ans que je suis dans mon usine secrétaire du CHSCT (Commission Hygiène Sécurité et Conditions de Travail) et aussi membre du CHSCT national dans l’entreprise.
Jamais dans ma carrière professionnelle je ne me suis autant senti utile et actif que dans cette entreprise.
Pourtant j’ai été dans les années deux mille, praticien en massage assis en entreprise, où je massais les salariés. J’ai ainsi vécu à cette époque une expérience formidable et inoubliable qui posera pour toujours les jalons de mon implication actuelle en tant que représentant du personnel. J’ai même eu la chance de collaborer avec des médecins du travail qui avait compris que le bien-être des salariés était le symbole de l’état de santé d’une entreprise.
Une belle prise de conscience qui cachait l’arbre au milieu de la forêt puisque quelques années plus tard France Télécom et la Poste devenaient les symboles de la souffrance au travail en France.
Comment a-t-on pu alors en arriver là alors que je voyais autour de moi des employeurs de plus en plus soucieux du bien-être de leurs salariés ? Qu’est-ce qui, à mon sens, a fait que nous sommes passés de la qualité de vie au travail à l’enfer au travail ?
Si on regarde de plus près les causes de cette catastrophe humaine dans une de nos plus grande et belle entreprises françaises, on peut constater qu’à cette époque France Télécom, qui venait d’être privatisée, était soumise comme toutes entreprises du privé à la loi du marché.
Une loi qui impose plus de résultats avec plus de rendement et d’efficacité, mais avec toujours moins de moyens matériels et surtout moins de moyens humains.
Pour cela, les têtes pensantes de la gestion d’entreprise, ou plutôt de l’Excellence Opérationnelle, ont sorti de leur beau chapeau doré un beau lapin appelé Lean.
Le Lean est une méthode d’organisation du travail issu de l’industrie automobile japonaise qui a pour but d’optimiser la production en supprimant à l’aide de multiples techniques les gaspillages.
Une méthode qui a fait le succès de Toyota et de l’industrie japonaise, mais qui en Occident provoquera des désastres humains.
On peut alors se demander simplement pourquoi cela ne fonctionne pas chez nous, et bien simplement parce que le Lean est avant tout fait pour satisfaire le client et non pour optimiser les coûts. Ainsi au Japon, on améliore d’abord les conditions de travail des salariés pour améliorer la qualité de service et après implicitement on gagne de l’argent. De plus, les Japonais sont des bourreaux de travail qui ont une pensée beaucoup plus collective que nous qui sommes plutôt individualistes.
De ce fait, il est difficile en France d’instaurer une méthode d’origine asiatique, c’est comme si on demandait à une cigale de travailler comme une fourmi et on sait bien quel en est le résultat.
De plus, la France a une mentalité bien spéciale concernant le travail et plus particulièrement les travailleurs. Un peu comme si on avait oublié que la révolution de 1789 devait redonner un statut équitable pour tous, la fameuse liberté, égalité et fraternité sauf qu’il y manque la justice.
En France, il y a le donneur d’ordre et l’exécutant, contrairement à d’autres pays comme dans le nord de l’Europe où tout travail est considéré à sa juste valeur, où chacun contribue au bien-être de la société, par conséquent où il y a moins de clivages.
À partir de là, la santé au travail ne peut-être que faussée par une envie plus grande de faire du bénéfice au détriment du salarié qui, lui, culpabilise de ne pouvoir donner ce qu’on lui demande de faire sans que se soit au détriment de sa santé et de sa vie sociale.
Alors cette méthode de production occidentalisée impose aux travailleurs des cadences infernales, des méthodes de management où l’homme doit oublier son humanisme, où les objectifs étouffent toujours plus le potentiel créatif et la motivation du salarié.
On en arrive ainsi à des situations de salariés qui, aimant pourtant faire leur travail consciencieusement, ne sont plus qu’une valeur marchande fichée par un numéro parmi tant d’autres numéros. Des humains remplaçables à souhait par d’autres attendant dans les agences pour emploi de décrocher le précieux sésame qui leur rendront un statut social biaisé par un système « cannibaliste ».
Le travailleur français a la réputation d’être consciencieux et professionnel, qui a besoin de son travail pour s’établir dans la société. Sa propre valeur passe par les objectifs atteints et le travail bien fait.
C’est donc aussi une des raisons pour laquelle il a des difficultés à se confier lorsqu’il subit de grosses pressions par un chefaillon en mal de reconnaissance.
L’individualisme l’a rendu esclave de son travail, ne serait-ce que pour payer ces factures, ces traites, nourrir sa famille dans un monde où la précarité le poursuit comme sa propre ombre.
Lorsqu’il en arrive à ne plus pouvoir s’exprimer, à ne plus pouvoir se libérer de ses peurs, à ne plus trouver sa place dans l’entreprise, son corps finit d’abord par le lâcher en brûlant ce qui lui restait d’amour propre, le burnout, puis, s’il ne relève toujours pas la tête… sa vie.
Par conséquent, la finance et la santé au travail ne font pas bon ménage, puisque l’un veut lui prendre tout ce qu’il a et l’autre lui donner ce qu’il n’a plus.
Pourtant la vie d’un homme vaut bien plus que quelques numéros monétaires inscrits sur un écran d’ordinateur. La valeur de ce que la vie nous offre est bien plus importante que tout ce que peuvent nous apporter les métiers les mieux rémunérés au monde.
Dans ma carrière, j’ai été personnellement victime de harcèlement par un supérieur hiérarchique qui ne supportait pas la critique… même constructive. Puis, en tant que représentant du personnel et dirigeant syndical dans mon département, j’ai assisté des salariés ayant vécu des situations difficiles dans leur entreprise.
Même si chaque cas était différent, les causes sont souvent les mêmes : ego démesuré de la hiérarchie, surcharge de travail, objectifs irréalistes, organisation à flux tendu…
Dans ces cas-là, c’est ici que le rôle du CHSCT devient important. Les représentants du personnel au CHSCT par leurs prérogatives sont les lanceurs d’alerte de leur entreprise. Leur lien avec les salariés joue un rôle majeur dans son fonctionnement lorsque celle-ci est justement considérée par l’employeur.
Les représentants du personnel au CHSCT sont le thermomètre de la dimension sociale de l’entreprise et lorsque la tension devient forte, il se doit d’en alerter le dirigeant, lui-même membre de cette instance en tant que président, mais aussi les préventeurs institutionnels.
Dans cette optique, il ne faut pas oublier que l’employeur a l’obligation légale de veiller à la sécurité et à la santé de ses salariés. Le CHSCT lui est donc primordial s’il doit remplir cette obligation de résultat.
Mais il ne faut pas oublier les autres acteurs majeurs de prévention que sont l’inspection et la médecine du travail, et la Carsat. Ils sont les garants de l’équilibre de cette instance lorsque bien sûr, celle-ci les sollicite.
Des appuis de taille surtout lorsque la vie de salariés est en jeu.
N’oublions pas aussi dans l’entreprise le responsable QSE (Qualité, Sécurité, Environnement) dont son rôle vient en complément du CHSCT. L’articulation entre le chef d’établissement, le responsable QSE et les représentants du personnel sont la pierre angulaire de la politique de prévention santé de l’entreprise.
Mais tout ça ne saurait fonctionner évidemment sans l’implication de tous les salariés de l’entreprise. Une implication basée sur la confiance qui devra se gagner sur le terrain par des actions concrètes et non par de fausses promesses, mais aussi sur une sincère volonté d’améliorer les conditions de travail pour la santé des salariés et non uniquement pour les résultats financiers.
Faire avancer la sécurité et l’amélioration des conditions de travail ne peut se faire sans cette implication. Vouloir imposer aux salariés des dispositifs de sécurité sans leur adhésion n’engendrera que des problèmes et délitera le climat social. Sensibiliser et accompagner les salariés à adopter un comportement sécurité est la seule solution pour qu’il y ait une véritable culture sécurité efficace.
Toutefois, l’employeur peut aller plus loin en mettant en place dans son entreprise, comme le font les fameuses startups, des moyens pour que les salariés puissent évoluer dans des conditions optimales de bien-être.
Certains mettent en place des pièces pour qu’ils puissent faire la sieste, des salles de détente avec des jeux vidéo, tables de ping-pong, massages, sophrologie, etc. Une entreprise à l’image de Google ou de Facebook le fait déjà pour fidéliser leurs « collaborateurs », mais surtout pour développer leur créativité et leur performance.
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Des mesures louables, mais qui bien souvent cachent une tout autre vérité, celle de faire de leurs salariés des machines de compétitions.
Pire j’ai pu voir certaines entreprises avoir de telles activités et en même temps mettre une pression insoutenable sur ces salariés et je ne parle même pas du sort réservé aux représentants du personnel dénonçant ces agissements.
Ce qui veut dire qu’avec ces activités l’intention de ces dirigeants est plus là pour se dédouaner de cette pression quotidienne, mais aussi pour se déresponsabiliser auprès des préventeurs institutionnels. Bien sûr, je ne généraliserais pas, car il y a tout de même des entreprises aux intentions sincères, soucieuses du bien-être de leurs salariés.
Il est important de remarquer que dans une entreprise, c’est uniquement le dirigeant qui fait appliquer la politique sécurité de l’entreprise. Tout dépend de lui, car il est l’unique décisionnaire qui insufflera vers le bas ses directives.
Le CHSCT est donc un magnifique outil qui doit rester un appui pour l’entreprise, mais malheureusement ça ne sera demain plus le cas puisqu’il va tout simplement disparaître à la suite des réformes du travail de 2017.
L’instance disparaît, il faut bien le dire, pour des raisons une nouvelle fois économiques puisque la future instance CSE (Comité Social et Économique) qui fusionnera les instances du CE (Comité d’entreprise), des DP (délégués du personnel) et du CHSCT aura moins d’élus et moins de moyens en heures de délégation.
Néanmoins, maigre consolation, elle gardera les prérogatives du CHSCT et aura, en fonction de l’effectif, une commission CSSCT (Commission Santé Sécurité et Condition de Travail), mais dont le rôle proche de l’ancien CHSCT devra encore être négocié entre les organisations syndicales et les dirigeants, laissant ainsi la porte ouverte à des dérives si la représentativité du personnel n’est pas forte dans l’entreprise.
Alors au train où vont les choses et surtout au vu de la financiarisation de nos élus politiques, on pourra encore craindre une diminution des moyens mis à dispositions pour les représentants du personnel.
Ajoutons aussi à cela l’individualisation de certains élus du personnel qui tombe dans le syndicalisme d’accompagnement où on préfère limiter la casse en signant des accords qui ne vont que fragiliser encore plus le droit des salariés et augmenter la précarité, on se demande jusqu’où nous allons tomber.
Cependant, ça ne s’arrête pas là. J’en parle souvent dans mon blog, mais nous sommes en train de vivre un tournant majeur dans notre société où le monde du travail va connaître une nouvelle révolution avec l’arrivée imminente de la robotisation.
Certains diront qu’on en parle depuis des décennies et qu’on ne voit toujours rien venir, mais la différence est qu’aujourd’hui la miniaturisation des composants électroniques fait que les machines peuvent interagir beaucoup plus rapidement grâce à des algorithmes très sophistiqués.
=> EN COMPLÉMENT, MA VISION DU MONDE DE DEMAIN : notre monde est-il perdu ou c’est nous qui le sommes ?
Par conséquent, demain se seront des millions d’emplois qui seront susceptibles de disparaître comme les métiers manuels, mais également intellectuels. Même les métiers de services seront touchés puisqu’aujourd’hui il existe des maisons de retraite où se sont des robots qui s’occupent des activités des résidents.
La seule chose dont nous ignorons encore sur ce sujet, c’est la manière dont elle va se déployer. Toutefois, on peut tenter de se rassurer un peu, car lors de l’arrivée des tablettes et smartphones, les spécialistes prédisaient la disparition du livre, or il s’en vend toujours aussi bien.
Le monde du travail va donc connaître dans ces prochaines années un énorme bouleversement et malgré cela on ne voit pas vraiment comment nous allons y faire face.
On a beau penser que le gouvernement mettra des mesures en place pour anticiper le problème, car il n’aura pas le choix, mais on ne voit pas comment lorsqu’on voit qu’il a déjà du mal à s’occuper des chômeurs actuels.
Pourtant le progrès est nécessaire pour libérer des salariés de tâches pénibles et aliénantes faisant des milliers de victimes chaque année. Le problème se situe simplement dans la substitution de ces pertes d’emploi et dans les moyens donnés pour l’adaptation au changement.
Alors allons-nous devenir les esclaves des robots ou vont-ils nous assister comme l’entrevoient certains chercheurs en créant des robots ? Ou bien même des exosquelettes pouvant aider l’homme à exécuter des tâches pénibles et physiques ?
Par conséquent, nous sommes à la croisée des chemins dont personne, même les plus grands spécialistes ne savent ce qui arrivera.
Toutefois, ce qui est certain c’est que la santé au travail arrive à son paroxysme, et certains dirigeants en ont bien pris conscience et sont actuellement en train de décider du sort qu’ils donneront à leurs salariés entre le robot et l’humain dans son sens le plus noble.
Le problème qui peut influencer ce choix est que le capitalisme ne tient compte que du résultat financier sans se soucier de la vie.
C’est donc à nous et à nous seuls de faire ce choix en tant que citoyen de la terre au service du collectif pour un autre paradigme, mais ça c’est encore une autre paire de manche dans un monde où l’individualisme règne.
Cet article est terminé donc s’il vous a plu, partagez-le et laissez-moi un commentaire afin que nous puissions échanger sur ce sujet.
Bien à vous,
Paul